le jeu du pendu | autumn |

Celui qui a écrit le script du film était un génie pensa alors Jared, toujours en référence au Cercle des Poètes Disparus. Quand soudain, sa transe fut interrompue. Mais que diable a t-il fait pour qu'on ne veuille lui accorder ne serait-ce qu'une journée de tranquillité, loin de tous? Le jeune homme s'apprêtait à faire ses remontrances, quelconque individu autre que lui dans ce gymnase était considéré comme intrus, par ses soins, lorsqu'il s'aperçut, en balançant sa tête en arrière de manière plutôt comique, qu'il s'agissait d'une demoiselle. Son image à l'envers ne gâtait en rien le charme de sa silhouette. « Wow » laissa t-il échapper, à voix basse. Quasi impossible que Autumn l'ait entendu, vu à quelle hauteur il se tenait. Restant un moment comme paralysé dans cette position très peu confortable pour sa colonne vertébrale, il hésita, puis finalement redressa la tête, regardant droit devant, comme s'il réfléchissait à ce qu'il devait faire, comment il devait réagir. Il n'avait pas prévu cette interruption. Descendre ou ne pas descendre? La jeune fille ne semblait pas vouloir partir, puisqu'elle s'était carrément assise à même le sol et l'observait. Finalement, Jared se décida à desserrer ses mains et ses pieds pour se laisser lentement glisser jusqu'au sol, marquant des pauses par moment afin de ne pas se cramer. Il se frotta par la suite les paumes contre son jean et se tourna vers Autumn, arborant un fin sourire comme il se devait, par politesse. Il semblait pourtant enthousiaste. En vérité, il l'était toujours quand il ne s'était pas préparé à une chose. Certaines personnes sont gênées et rougissent, lui, il est d'une bonne humeur synthétique. Cette tête ne m'est pas inconnue. Il lui semblait en effet avoir déjà vu cette jolie blonde quelque part dans l'école, et en connaitre même le nom... Ca y'est, ça lui revient. La semaine dernière, pour l'élection des gérants des dortoirs, elle était juste devant lui en signant le formulaire stipulant qu'elle avait participé aux votes (désolé s'il me faut inventer). Jared avait une bonne mémoire des noms, et celui-là lui était paru comme exceptionnellement original. Et même de saison. Autumn... Autumn quelque chose. Le reste du nom importait peu, rien que ça c'était suffisant pour lui, pour qu'il puisse dire alors, le fin sourire lui étirant toujours les lèvres, d'une voix enjouée « Feuille d'automne, bijou vermeil qui tourbillonne dans le soleil, flambe l'automne pourpres et ors qui vermillonnent tel un trésor... » il s'agissait d'une vieille poésie qu'il avait dû apprendre étant gamin. Vous savez, pour améliorer la mémoire des mômes, on leur demande de choisir un poème sur un certain thème et après ils doivent le présenter à leurs camarades. « Feuille dansante dans le vent fou qui, frissonnante tombe à genoux en la supplique des feux mourants, mélancoliques dans leurs tourments. » s'avançant à mesure qu'il débitait ses vers, il s'arrêtait par moment, s'immobilisant du même temps que sa récitation, lui lançait un simple regard espiègle, puis reprenait « Sème l'automne sur les étangs combien s'étonne le cygne blanc qui, sous les aunes s'en va glissant. L'air monotone va s'imprégnant. Dans les vallées au cœur saignant taches rouillées feuilles de sang, les feuilles mortes, les souvenirs vont en cohorte semblant s'unir. » enfin, lorsqu'il fut à moins d'un mètre de la jeune fille, il imposa un silence plus long cette fois-ci, mais l'intonation émise dans sa dernière phrase incitait une suite. Il s'installa alors devant la demoiselle, une jambe pliée où il posa son bras gauche, l'autre à plat sur le sol, se soutenant de son second bras un peu en retrait derrière son dos. Souriant de plus bel, il termina « Ces fleurs du rêve tombent en pleurs avec la sève d'anciens bonheurs. Les feuilles mortes, leurs parfums lourds ferment la porte de nos amours. » et il se tut.

Les applaudissements de cette demoiselle firent sourire Jared. Un sourire, c'est tout ce qu'il réclamait en guise de reconnaissance, et voilà que la belle d'automne l'en lui accordait plus qu'il ne l'aurait fallu. De délicieux sourires même, la jeune fille ne manquait pas de charme. Adoptant un air mystérieux, il rétorqua « La vie est parfois pleine de coïncidences... » il était étrange de voir qu'elle ne se posait pas plus de questions sur sa prestation. N'importe qui aurait pu mal prendre le fait qu'il connaissait déjà son prénom alors qu'ils ne s'étaient jamais vus. C'était peut-être ce genre de réaction qui définissait quelqu'un comme à part, aux yeux du garçon. Dès les premières paroles, Jared comprit qu'elle possédait une personnalité intéressante. Curieux d'en savoir plus, il ancra directement son regard dans le sien, laissant ainsi la question d'Autumn sans réponse pendant quelques secondes. Il doit l'avouer, il fut troublé, son sourire s'abaissa. C'était dans ses habitudes d'observer scrupuleusement le comportement de son interlocuteur, il aimait cerner les gens dès leur rencontre. Là, il lui semblait qu'au plus il cherchait dans les yeux de la jeune fille, au plus il y voyait de la tristesse. Elle avait un je ne sais quoi de blessant. C'était la touche mélancolique qui embrumait un si beau visage. Son regard descendit légèrement pour s'accrocher à ce sourire angélique et innocent, ce qui lui fit oublier la profondeur obscur de ses pupilles. Conscient que ce n'était jamais agréable d'être grugé ainsi par un inconnu, il entreprit tout de suite de décliner son identité, non sans quelques ratés dans la voix, car toujours un peu sonné par ce qu'il avait entraperçu dans les yeux de la jolie blonde « Hum... Excuse-moi... Je m'appelle Spencer, Jared Spencer... » il abaissa la tête, comme gêné, et se passa une main dans la nuque. A ce moment là, la porte du gymnase s'ouvrit à la volée, et une poignée de sportifs pénétra dans les lieux, des sacs comportant des ballons de basket à la main. Un homme plus âgé les suivit. Sans doute le professeur. De sa voix bourrue, il entonna les consignes à l'attention des garçons « Je vous laisse cinq minutes pour vous changer, retrouvez moi ici même ensuite. Et grouillez-vous ! » Jared observa un instant la troupe s'en aller vers les vestiaires, et se tourna vers Autumn. « Je crois que la minute poésie est terminée. Si on ne veut pas se faire embarquer pour les prochaines qualifications de la saison, on devrait partir. » il se releva, et tendit une main à Autumn pour l'inviter à faire de même. Cette interruption lui avait permis de ré adopter son air enjoué et d'effacer totalement sa gène précédente, ou peut-être était-ce parce qu'il avait rompu le lien visuel avec la jeune fille. Quelque chose en lui lui disait pourtant que leur discussion ne devait pas s'arrêter là. Peut-être une envie de connaitre cette blondinette qui cachait bien des choses? Sa curiosité le perdra. « En fait... Je suppose que tu étais ici pour de bonnes raisons, alors... On se reverra peut-être un de ces jours. » Il n'avait pas eu le cran de l'inviter à sortir dehors, ça aurait pu paraitre excessivement suspect et il n'avait pas envie de se coller l'étiquette du gars le plus bizarre et pervers de l'école. Et pourtant au fond de lui, il espérait qu'elle ne prononce pas d' « au revoir ».